La lettre d’Isidore, seul témoignage direct de son action en Résistance

L’engagement résistant d’Isidore, c’est une histoire qui se résume à une poignée d’archives : un dossier militaire, un certificat FFI, un carnet crayonné, deux mentions dans un registre et une liste. C’est aussi une lettre envoyée le 23 avril 1994 par Isidore à Guy de Rouville, « préfet du maquis » à Vabre.

« Le souvenir des jours difficiles »

Quand on s’investit sur un projet pendant plusieurs années, on s’accroche aux petits symboles. Il y en a un qui me tient à cœur, dans cette grande aventure de recherche historique. Le seul document écrit de la main d’Isidore avec un objectif de témoignage date de 1994, mon année de naissance. Comme un pont.

Cette lettre n’est pas spontanée. Isidore a, comme des dizaines d’autres anciens maquisards de Vabre, répondu à l’appel de Guy et Odile de Rouville. Guy de Rouville a été un des chefs de la Résistance dans la vallée de Vabre. Avec son épouse Odile, dès 1945, ils ont agi pour garder la mémoire de ces temps révolus. Cette mémoire est passée par des commémorations, la création d’un espace d’exposition à Vabre, mais surtout par la réunion des anciens maquisards et le recueil de leurs souvenirs sur les années 1943 et 1944. Un appel à témoignage a été lancé en 1993, dans l’objectif de rééditer un livre-mémoire pour le cinquantième anniversaire de la Libération.

Comme des dizaines d’autres anciens invités à Vabre et à témoigner, Isidore a répondu. Il a indiqué qu’il ne pourrait pas être là aux dates proposées : son bulletin de réponse est toujours aux archives de l’Amicale des Maquis de Vabre. Il a surtout rédigé, en 345 mots dactylographiés, un court récit de son passage au maquis. Ce récit n’est ni héroïque, ni pathétique. Il fait sourire, il informe, il permet d’obtenir de minuscules précisions sur son été 1944 si particulier.

J’ai gardé avec beaucoup d’émotion le souvenir des jours difficiles passés avec mes amis des maquis du secteur de Vabre. J’ai échappé par miracle à l’attaque allemande mais j’ai suivi de très près les circonstances de notre fuite pendant plusieurs jours pour échapper à nos ennemis. Quant à l’attaque du train assurant l’évacuation de la garnison allemande de Mazamet, j’ai suivi les circonstances de l’attaque de ce train et son résultat triomphant en me tenant proche de la voie ferrée. J’ai passé avec nos amis l’inspection finale qui a permis la récupération des objets pillés par les troupes qui s’enfuyaient.

Isidore Adato, 23 avril 1994

Ce récit succinct et factuel est un complément important du dossier militaire d’Isidore. Ce dossier, consultable au Service historique de la Défense, comporte une quinzaine de pages dont un fascicule rempli par Isidore pour justifier de son engagement en Résistance. Si le dossier militaire récapitule l’état civil et l’état des services d’Isidore à travers son certificat d’homologation FFI, il reste un document administratif interdisant tout écart.

L’infirmerie, la chèvre et le train

L’attaque allemande dont Isidore parle a eu lieu le 8 août 1944, lorsqu’après un parachutage allié sur Vabre une colonne allemande a attaqué l’unité chargée de la protection du terrain. Isidore était sous-officier dans cette unité, la 2ème compagnie, dotée d’un état major juif issu des Éclaireurs israélites de France. Dans sa jeunesse, Isidore a été scout. Il a rencontré Simone aux ÉIF. Les 137 hommes de ce « maquis juif » n’était pas tous juifs, et le lourd bilan de cette journée en témoigne : sept morts, dont trois juifs, trois protestants du pays et un républicain espagnol réfugié. Une certaine idée de la France.

Si Isidore a « échappé par miracle » à l’attaque, c’est qu’il était malade, alité à l’infirmerie installée dans la maison d’une infirmière de la Première Guerre mondiale avec « une angine à streptocoques ». À ce « miracle » s’ajoute une anecdote improbable : « Je vous signale qu’au lendemain de l’attaque de notre cantonnement, j’ai été chargé de reconduire la chèvre dont le lait servait pour notre ravitaillement. J’avoue que je n’en menais pas large surtout que la gentille chèvre était difficile à gérer. » Cette anecdote a été choisie pour figurer en page 133 du recueil De la chouette au merle blanc publié en 1994.

Quant à l’attaque du train, il s’agit de la nuit du 19 au 20 août 1944. Trois compagnies, dont celle d’Isidore, ont tendu une embuscade à un train allemand avec le concours d’un commando américain parachuté début août. Toute une nuit, au prix d’un mort dans leurs rangs, les maquisards ont capturé le train et 56 soldats allemands. C’est la principale victoire militaire des maquisards de la région de Vabre. Face aux prisonniers, les maquisards juifs ont fièrement scandé : « Ich bin Jude ! Wir sind Juden ! » (Je suis Juif, nous sommes tous Juifs). La phrase a aussi été prononcée par des résistants d’autres confessions. Cette victoire a participé à la Libération de Castres le 20 août, et à la reddition sans combat des 4 000 soldats de la Wehrmacht qui y étaient en garnison.

De l’attaque du train à la fin de la guerre

À la Libération, les FFI se sont préparés pour rejoindre le front. Sur les 463 maquisards de Vabre, 240 se sont enrôlés dans la Première Armée de Libération début septembre. Isidore en a fait partie, mais plus tard, début octobre. Le récit du mois de septembre 1944 vécu par Isidore et Simone fera l’objet d’une vidéo dans la série « Au fil des archives », à travers un document exceptionnel écrit de la main de Simone.

À l’automne 1944, Isidore revêt l’uniforme militaire qu’il avait quitté, démobilisé, en août 1940. « Nous avons pleuré nos amis, mais nous avons poursuivi notre combat », écrit-il en 1994. Au 3ème régiment de Dragons puis au 12ème, Isidore avait le grade d’adjudant puis d’adjudant-chef. Il a combattu dans les Vosges et en Alsace, jusqu’à participer à l’occupation de la ville allemande de Constance au printemps 1945. Deux semaines après la victoire, Isidore et son régiment ont défilé devant le général de Gaulle, le 21 mai 1945, à Constance.

Démobilisé peu après, Isidore a repris sa vie auprès de sa femme et ses filles. Un petit garçon est venu compléter cette famille rescapée de la guerre et de la Shoah. Isidore n’a plus rien écrit sur son parcours, jusqu’à cette lettre du 23 avril 1994 écrite par un homme de 82 ans qui jette un œil au rétroviseur.

Isidore dans les années 1990. Après la guerre, il a vécu à Metz puis à Rouen, où il est décédé en 2000. © Coralie Adato

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s