Avant la Shoah, Victor et Rachel ont échappé aux camps de concentration

L’histoire est méconnue, mais la France, comme tous les autres pays engagés dans la Première Guerre mondiale, a créé des camps de concentration pour interner les citoyens ayant la nationalité des pays ennemis. Victor et Rachel, émigré en 1910, étaient des citoyens ottomans quand la guerre a éclaté. Pour échapper aux camps, ils ont fui pour Barcelone, où ils ont vécu jusqu’en 1919. Cette fuite leur sera reprochée et retardera leur naturalisation.

Un deuxième exil, après la fuite vers la France

28 ans avant de mourir à Auschwitz, Victor et Rachel ont dû s’exiler du pays où ils s’étaient réfugiés, par crainte d’être enfermés dans ces camps. La France, comme tous les pays engagés dans la Première Guerre mondiale, a créé des camps pour enfermer les citoyens des pays ennemis : Allemands, Austro-Hongrois et Ottomans. Victor et Rachel étaient dans ce dernier cas, arrivés en 1910 à Marseille, où Isidore est né en 1912.

Ces civils ont été enfermés dès septembre 1914. Aucune convention internationale pour les protéger. Sans base légale, l’internement est un acte administratif, arbitraire et sans contrôle judiciaire. Un décret présidentiel suffit à les priver de liberté. La carte de séjour arrivera en 1917 pour introduire un semblant de légalité. Dans l’Empire ottoman que Victor et Rachel ont fui, ces camps ont été un élément central du génocide des Arméniens. En France, 60 000 étrangers civils ont été internés dans 70 camps disséminés sur le territoire, loin des combats.

Victor et Rachel, ouvriers tailleurs et jeunes parents, décident de quitter Marseille quand le décret créant les camps de concentration a été pris par le président du Conseil, Raymond Poincaré. Ils partent pour l’Espagne et s’installent à Barcelone. Ils y resteront jusqu’en 1919. Ils ignoraient que leur qualité de juifs les protégeait, une exception au régime d’internement mal communiqué par les journaux de l’époque, suscitant la crainte de ces Ottomans qui ont simplement eu vent des nationalités concernées par ces mesures de « contre-espionnage ».

Cette fuite contrainte sera reprochée à Victor et Rachel, 15 ans après, quand ils demandent la nationalité française. Ces documents sont conservés aux Archives de France. « Dit-il » est écrit par la préfecture de police de #Paris, comme une mise en doute de la raison de leur exil, le deuxième de leur vie.

Étrangers sous contrôle étroit, ou au combat

Les internés ont des droits, heureusement : ils peuvent écrire « une lettre par quinzaine » et « une carte postale de huit lignes par semaine », avec une écriture « large et lisible » pour que la censure puisse les lire. Les télégrammes sont interdits, les journaux étrangers aussi. Ils travaillent mais ce n’est pas leur première utilité. Ces étrangers devenus otages sont essentiellement une monnaie d’échange « pour peser sur les négociations touchant la libération des prisonniers militaires », détaille l’historienne Annette Becker. Un camp d’Alsace est photographié en 1917. « Une vie sociale y est recréée », note L’Histoire par l’image : université, chapelle, cafés… « Les prisonniers souffrent du froid, de l’isolement et d’une bureaucratie tatillonne, mais reçoivent courriers et colis. »

Ces étrangers vivent une double peine : certains sont dénaturalisés. Les Ottomans, moins nombreux, sont souvent « des minorités de l’Empire ». Le ministère de l’Intérieur milite pour les interner, « sensible aux pressions des milieux hostiles à la concurrence des marchands d’Orient ». Dans les peuples ottomans, les Slaves ont droit à un régime de faveur, après une enquête sur « leurs sentiments francophiles », marque l’historienne Claire Mouradian. La région d’origine ou la communauté des Ottomans est un facteur déterminant.

D’autres étrangers sont impliqués en France. En août 1914 à Paris, certains défilent avec le drapeau tricolore pour réclamer leur mobilisation dans les armées françaises. 42 883 étrangers de 50 pays s’enrôlent, comme le poète Blaise Cendrars. 134 000 colonisés combattront. 225 000 coloniaux et immigrés chinois agiront à l’arrière.

Retour en France, avant l’ultime exil

Installés à Barcelone avec Isidore, Victor et Rachel reprennent leur métier : « On se souvient d’un oriental, bon ouvrier tailleur », écrivait un agent du consulat français en 1930 dans le cadre de l’enquête de police ordonnée par le ministère de la Justice et transmise au ministère des Affaires étrangères, pour leur dossier de naturalisation.

En 1919, une fois la Première Guerre mondiale finie, Victor et Rachel reviennent en France, s’installent dans le 11ème arrondissement, dans le quartier Popincourt, poumon des Ottomans juifs de #Paris surnommé Le Bosphore à la Roquette par la socio-anthropologue Annie Benveniste qui a écrit un livre à ce sujet.

Isidore a vécu deux ans en France et cinq en Espagne. À son arrivée à Paris, il ne parle qu’espagnol. Il va apprendre le français, première pierre de son amour pour ce pays qui « lui a tout donné », marque sa fille Marylène. L’école sera centrale dans sa vie.

Isidore a sept ans au retour en France. Son petit-frère Léon naît à Paris le 18 octobre 1919. Victor et Rachel vivront 23 ans dans le 11ème arrondissement où ils se sont installés, rejoints par Marco, frère de Victor.

Leur prochain exil sera en 1942, vers Auschwitz.

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