Comment Vichy a dénaturalisé des juifs pour les déporter à Auschwitz

80 ans après les lois anti-juives durcies et signées par Pétain, il existe encore des gens pour défendre celui qui aurait « défendu les Français juifs » en ne livrant que des étrangers aux Allemands. Un mensonge rejeté par l’histoire de Victor et Rachel, parents d’Isidore. Naturalisés en 1936 après une bataille qui a duré plus de sept ans, ils ont été dénaturalisés en 1941 avec Léon, le petit-frère d’Isidore. Tous les trois seront gazés à Auschwitz.

La naturalisation, une longue bataille

Arrivés en 1910, Ottomans, Victor et Rachel ont dû attendre la fin du service militaire de leur fils Isidore pour devenir Français en 1936. Le 6 septembre 1941, cette victoire leur a été retirée par Vichy.

Isidore, lui, est Français. Par déclaration, depuis 1925. Il est né à Marseille en 1912. Son petit frère Léon est né à Paris en 1919. Deux garçons français, des parents turcs. La préfecture de police demande à Victor et Rachel, en 1929, s’ils ont « donné leurs fils à la France ». Surtout, la fuite hors de France de Victor et Rachel durant la Première Guerre mondiale intrigue. Pourquoi ces « étrangers » ont-ils fui ? « Pour éviter les camps de concentration, dit-il », écrit un agent de police. Entre 1915 et 1919, Victor et Rachel risquaient déjà le camp.

Ils ont fui l’Empire ottoman en 1910. À cause de la fièvre nationaliste turque. Ils ont visé la France, « patrie des droits de l’homme », malgré son histoire antisémite. Mais en 1914, ils sont de la nationalité de l’ennemi, l’empire qu’ils ont fui. La France veut les interner. 70 camps enferment ces « étrangers ».

Tailleurs à Marseille, Victor et Rachel fuient à Barcelone avec Isidore. En Espagne, le pays qui a expulsé leurs ancêtres en 1492, réfugiés dans l’Empire ottoman, laïc avant 1517. Cette fuite est omniprésente dans le dossier de Victor et Rachel. Un employé du consulat de France à Barcelone est chargé d’enquêter : « On se souvient d’un oriental bon ouvrier tailleur. On a oublié son nom, il n’est pas possible de savoir si c’était Victor Adato. »

Quand Isidore part au service militaire en 1933, Victor et Rachel sont sans réponse de leur demande de naturalisation de 1929. Ils habitent le 11ème arrondissement de Paris depuis 1919. Victor écrit au ministre de la justice : « J’ai donné mon enfant au pays qui m’a recueilli, la seule patrie. » À nouveau étudié par la préfecture de police, le dossier stagne. La fuite à #Barcelone est notée. « Dit-il » revient. Victor “fréquente les israélites de Paris”. La situation militaire d’Isidore est soulignée. Mais « aucun fait nouveau ne milite en faveur du postulant ».

Fin de service : Isidore est sergent en 1935. Son certificat de position militaire en atteste. Sept ans après leur demande, Victor et Rachel sont Français en 1936. La police écrit : « Son loyalisme et ses attitudes politiques et nationales ne donnent pas lieu à des remarques. » Quand la guerre éclate, Victor et Rachel sont Français depuis trois ans. Ils ne quittent pas Paris, où ils travaillent comme tailleurs pour des maisons du Sentier, quartier juif de Paris. Isidore est mobilisé, mais Victor et Rachel doivent s’occuper du second fils, Léon.

Victor, Rachel et Léon, apatrides, sont gazés

Léon souffre d’une « anémie cérébrale », selon l’enquête de police. Né en 1919, il a 20 ans quand la guerre éclate. Il n’a pas fait son service militaire, réformé à cause de son handicap. Il n’est pas mobilisé en 1939. Il est « à la charge de ses parents », souligne la police. Quand Vichy promulgue le premier statut des juifs en 1940, Victor et Rachel ne sont pas concernés. Isidore, 28 ans, est fonctionnaire des impôts : il est chassé de son travail. Mais au second statut, en 1941, son grade de sergent et sa mobilisation le sauvent du déshonneur.

Victor, Rachel et Léon, eux, sont dénaturalisés. Ils sont nommés au décret du 29 juillet 1941, voulu par #Pétain. Il leur est notifié le 6 septembre, 40 jours plus tard. Victor et Rachel redeviennent ce qu’ils avaient mis 31 ans à ne plus être. Étrangers. Apatrides. Juifs. Ces lois du régime de Vichy visent explicitement les juifs. Elles sont héritées des idées de Charles Maurras, penseur de l’extrême droite française, rappelle l’historien Laurent Joly au micro de Xavier Mauduit sur France Culture : “Les lois anti-juives ont été durcies par Pétain.

Léon a l’âge de la majorité : 21 ans. Quand son grand frère Isidore est protégé par son grade militaire, lui est ciblé à cause de son handicap. Après le Vél d’Hiv et Drancy sous la garde de la police française, il est le premier gazé à Auschwitz, le 24 août 1942. Rachel le 26. Victor le 16 septembre. Isidore reçoit une dernière lettre de sa mère le 23 août 1942, de Drancy. Le jour-même, son train part pour « un pays inconnu » écrit Rachel : Auschwitz. Isidore apprendra sa mort à la fin de la guerre, quand avec sa femme Simone ils ont cherché leurs parents.

Lettre envoyée depuis Drancy par Rachel à Isidore, le jour du départ de son train pour Auschwitz.

Isidore « était fier d’être Français »

Quarante ans après, dans le Mémorial de la déportation de Serge et Beate Klarsfeld, Isidore s’interrogeait encore sur des petits bouts de papier, laissés comme des marque-pages là où il a entouré les noms de sa famille. Léon ? “Immédiatement gazé”, écrit Isidore. Victor : “Gazé ? » Au total, 75 721 juifs de France ont été déportés. Les nostalgiques de Pétain, 80 ans après comme à son procès en 1945, défendent Vichy qui aurait « sauvé » les Français juifs. Mais c’est bien Vichy qui a dénaturalisé 15 000 juifs.

Victor et Rachel sont morts étrangers mais ils ont été Français. Malgré cette histoire, Isidore n’a jamais rejeté la #France. « Il se sentait totalement Français. Il y tenait. Il est arrivé sans parler français. La France lui a tout donné », explique sa fille Marylène, en octobre 2021. “Il était fier d’être Français. Moi aussi. J’aime tout de la France.”

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