Isidore est né à Marseille en 1912. Après avoir fui à Barcelone pendant la Première Guerre mondiale, sa famille s’est installée dans le 11ème arrondissement de Paris, dans le quartier Popincourt. Un secteur où se sont réunis les juifs ottomans immigrés en France. Victor, Rachel et Léon y ont vécu jusqu’à leur arrestation et leur déportation.
Popincourt, quartier des « Juifs orientaux »
Une impasse, une rue et un nom : Popincourt. Victor et Rachel y ont emménagé avec leur fils Isidore, âgé de sept ans, en 1919, à leur retour d’exil à Barcelone. Enceinte, Rachel donnera naissance à Léon le 18 octobre de cette année-là. Installés au 4 de l’impasse Popincourt, ils ont déménagé au 8 de la rue Popincourt. Cette rue était le cœur d’un quartier réunissant les « Juifs orientaux » arrivés à la fin du 19ème siècle, regroupés autour du « Bosphore », restaurant « mythique » de la rue Sedaine qui croise la rue Popincourt, où je vous emmène.
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Quand Victor et Rachel ont cherché où s’installer, ce quartier était logique. Victor était tailleur, Rachel travaillait avec lui. Ils vendaient leurs créations à des maisons de couture du Sentier. Leur dossier de naturalisation, rempli en 1929 au commissariat de La Roquette, relève que Victor « sait lire et écrire le français », qu’il gagne « 1 800 francs par mois » avec « un loyer de 800 francs ». Qualifiée de « demande pour intérêt », leur naturalisation a été rejetée car Victor et Rachel sont accusés d’avoir « abandonné la France pendant la guerre ». Il faudra que leur fils aîné, Isidore, fasse son service militaire et sorte sergent pour que la naturalisation soit acceptée.
En 1919, l’association Al Syete regroupait 350 familles. « Syete » veut dire 7 en judéo-espagnol, la langue des Juifs expulsés d’Espagne sous l’Inquisition autour de 1492 et exilés dans l’Empire ottoman, laïc au début du 15ème siècle. Le « Syete », pour 7 rue Popincourt, était en face de chez Rachel et Victor, point central et « premier lieu d’insertion ». Une adresse achetée par les familles de la communauté, « toutes originaires de l’Empire ottoman » selon le résumé de l’association sur son site. Le 7 accueillera une synagogue. Selon leur dossier de naturalisation, Victor et Rachel « fréquentaient les israélites du quartier ».
En 1936, « près de 2 600 juifs d’Orient habitent le quartier de La Roquette qui commence à être connu comme l’îlot oriental » de Paris, rapporte l’exposition Mémoires du quartier Popincourt. Au fil des arrivées, « un système d’entraide s’est mis en place, les nouveaux arrivants accèdent au travail et au logement grâce à ce réseau ».
« Tout un petit peuple vivait là, composé de chaisiers, de tapissiers, d’ouvriers ébénistes, de polisseurs de glace, de tailleurs. On se bousculait sur les trottoirs étroits, on se claquait la bise.
Ariane Bois dans Le monde d’Hannah
Au 8, des bouts de tissus pour jouer
Monique, fille aînée d’Isidore née en 1936, m’a raconté se souvenir d’avoir joué au 8 « avec des bouts de tissus », les chutes des tailles, dans l’appartement qui faisait logement et atelier de couture.
C’est à cette adresse que Victor, Rachel et Léon ont été arrêtés par la police française en juillet 1942, avec les raflés du Vel d’Hiv. Conduits à Drancy, ils ont été déportés à Auschwitz et gazés à leur arrivée. Isidore était réfugié à Toulouse quand sa famille a été arrêtée. Le frère de Victor, Marco, a été arrêté rue Popincourt en juillet 1944, devant le café ottoman du numéro 17. Il a été déporté avec le convoi 77, le tout dernier convoi à être parti de France alors que la Libération approchait. Sa femme Louise, naturalisée en 1948, et ses cinq enfants ont survécu.
Une communauté exsangue
À la fin de la guerre, « la communauté raflée et déportée se retrouve exsangue », relate Al Syete. Le quartier, en août 1941, avait fourni les 4 232 premiers internés de Drancy, des hommes arrêtés dans les rues et immeubles. La toute première rafle a été celle du « Billet Vert » en mai, la première de France. Au total, 1 200 enfants juifs du 11ème sont morts en déportation. C’est un des arrondissements les plus touchés, comme le montre la carte interactive de l’historien Jean-Luc Pinol. L’ampleur des vies détruites dans l’est parisien y est marquante.

Mais la vie a repris ses droits : un « bienfaiteur » prête un local qui fait école religieuse et cantine, puis les activités reviennent au numéro « Syete ». L’association continue de perpétuer cet héritage judéo-espagnol. Comme d’autres : en 2020, des militants de l’Union des étudiants juifs de France ont collé, rue Popincourt, les noms des enfants juifs déportés du quartier. Au numéro 8, Selma, Camelia et Rosa Sanarki ont été arrêtées et déportées. Elles avaient 16, 17 et 18 ans. Des voisines de Victor, Rachel et Léon.
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