Un nom, un visage, une mémoire : ces éléments d’identité sont le point de départ du travail conduit ici, depuis janvier 2021. Une quête engagée grâce à un héritage familial, mais aussi par un déclic. C’était en janvier 2018, dans le froid d’Auschwitz. L’importance des visages des déportés m’a été soulignée par Olivier Lalieu, historien au Mémorial de la Shoah. Quatre ans plus tard, Léon, Rachel et Victor ont leurs photos au Mémorial.
Face à la fatalité, l’urgence de l’humanité
« Une fatalité », soupirait Olivier Lalieu. Une fatalité qu’est la mort des derniers survivants de la Shoah. Quand l’historien posait ce constat en janvier 2018, Simone Veil était décédée six mois plus tôt. Depuis, d’autres de ces rescapés sont partis. Cette fatalité inéluctable donnait à l’historien un sentiment d’urgence, la nécessité de faire plus avant l’inévitable fin de ceux qui auraient directement vécu et vu quelle avait été l’horreur nazie.
Olivier Lalieu s’arrêtait alors sur un élément central, pour lui, de la passation de la mémoire de ceux qui ont vécu vers ceux qui vivent aujourd’hui : les photos des déportés. Car face à l’objectif nazi de déshumanisation totale, de mort industrielle et d’oubli permanent, les visages des suppliciés est un rappel qu’ils ont vécu, qu’ils ont existé.
De retour de Pologne, en écrivant mon reportage sur cette journée passée à Auschwitz avec des lycéens, j’ai été curieux. Sur le site du Mémorial de la Shoah, dans l’onglet Rechercher une personne, j’ai tapé le nom de famille de mes ancêtres. Tous avaient une fiche avec leur nom, leurs dates de naissance et de déportation, le numéro de leur convoi, mais aucune photo. Pourtant, ces photos, je les avais vues, je savais que ma famille les avait.
Une mission pour la troisième génération
J’ai alors su qu’un jour, je donnerai ces photos au Mémorial de la Shoah, que je rendrais à mes ancêtres leurs visages. Je ne l’ai pas fait immédiatement – travail, vie quotidienne et procrastination n’ont pas aidé – mais l’idée est restée, bien protégée, en maturation dans un coin de ma tête. Elle en est ressortie en janvier 2021.
En même temps que des photos, ma grand-mère m’a confié des archives précieuses. En les redécouvrant, j’ai su que je ne m’arrêterai pas à l’envoi des photos au Mémorial, que je devais faire plus. Mes premières recherches ont conforté cette volonté, quand j’ai découvert que le dernier maquisard de la montagne d’Isidore était mort en 2019. Toute l’urgence décrite par Olivier Lalieu a trouvé sens, sous mes yeux. Se souvenir, c’est agir.
En parallèle de mes recherches, j’ai commencé à confier des documents au Mémorial de la Shoah – un carnet de route, une lettre, un dessin de ma grand-mère cachée au couvent… – et trois photos. Trois visages qui sont désormais en ligne sur les fiches de Léon, Rachel et Victor Adato. Trois Français dénaturalisés et assassinés parce que juifs qui, après avoir été inscrits sur le Mur des Noms, trouvent une place sur ce Mur de Visages.

En 2018, Olivier Lalieu indiquait que le Mémorial possédait « entre un quart et un tiers des visages de déportés » parmi 45 millions d’archives. Une proportion qui a du évoluer depuis. Une proportion qui peut encore évoluer, à mesure que la troisième génération – celle qui a échappé à la culpabilité de survivre ayant frappé les enfants de déportés -, se mobilise pour faire vivre en eux et auprès des autres la mémoire des victimes de la haine.
Une réflexion sur “Léon, Rachel, Victor : les visages de la famille d’Isidore au Mémorial de la Shoah”