Depuis la création de ce site pour accompagner la construction du livre sur l’histoire d’Isidore et de sa famille, j’alimente un journal de marche de mes recherches, y enregistrant les principales avancées dans mon travail. Le journal de marche, c’est le carnet de bord d’une unité militaire, recensant ses activités quotidiennes. Les maquisards de Vabre en tenaient un, puis dans l’Armée de libération.
Tenir un journal de marche en 2022 est un clin d’œil, un hommage, ce n’est pas la prétention d’être dans les conditions de vie des maquisards et soldats de 1943-45. Ayant décidé de marcher dans les pas d’Isidore et de ses camarades de résistance, perché sur les sommets de cette montagne hospitalière et combative, je veux ici raconter les lieux du maquis, l’état d’esprit des Vabrais.e.s et leur rôle central dans la lutte et le sauvetage. Un récit jour par jour, au fil des rencontres et découvertes faites durant deux semaines.
Dimanche 20 mars : Pierre, Christine et les voisins maquisards
« Tu vois la maison là ? Il y avait une cache d’armes », pointent Pierre et Christine. Mes hôtes pour ces deux semaines ont donné le ton du séjour, en montrant cette masure de pierres d’un hameau reculé de Vabre qui a accueilli 15 à 20 jeunes maquisards en 1944. Ces gamins, résistants par idéal, pour éviter le STO ou parce qu’ils étaient traqués pour ce qu’ils étaient, ont trouvé dans les montagnes du Tarn un refuge inespéré.

Lundi 21 mars : relire, trier, réorganiser
Pour ce temps au maquis, j’ai emmené avec moi la totalité des archives accumulées pendant plus d’un an de travail sur la vie d’Isidore et de sa famille. Ces centaines de pages mêlent contrat de mariage des arrières arrières grands parents en 1910, baccalauréat d’Isidore en 1932 (mention bien !), avis d’imposition de 1938, lettres de Drancy de 1942, dossiers FFI de 1944, écussons de l’Armée de libération et fiches de démobilisation de 1945, courriers innombrables de 1962 pour faire reconnaître la mort pour la France des déportés, mais aussi le seul et unique témoignage direct d’Isidore sur son temps au maquis, une lettre d’avril 1994 (j’avais quatre mois).

J’ai relu et réorganisé ces nombreux et précieux documents, classés selon le chapitrage prévu pour le livre qui retracera cette histoire familiale et française, tout en traçant la chronologie des événements.
Mardi 22 mars : rencontre avec l’histoire du maquis
Depuis octobre 2015, Vabre est un peu plus entré dans l’histoire de la Résistance en intégrant le réseau Villes et villages des Justes de France orchestré par Yad Vashem France. Un homme personnalise ce que Vabre a été pendant la guerre. Un Juste parmi les Nations : le brigadier-chef de la gendarmerie de Vabre, Hubert Landes, qui a reçu cet honneur posthume en septembre 2021. Il a été à la fois résistant en organisant la constitution, la connexion et l’armement de plusieurs maquis, tout en participant à recueillir, cacher et sauver des enfants et des familles juives. En septembre 1943, il prévient des familles d’une rafle imminente et permet leur survie.
« Un gendarme reconnu Juste, c’est rare », souligne Michel Cals. Originaire du village, retraité après une carrière de professeur d’université, il est l’historien de Vabre et se démène pour inscrire dans le marbre la mémoire de cet engagement vabrais. Ses travaux ont conduit à la reconnaissance d’Hubert Landes comme Juste. En 2019, il a écrit le livre Vabre, village des Justes, enrichi du documentaire La Vallée des Justes.
La vallée, car l’histoire de résistance et d’accueil de Vabre mobilise tout le sillon creusé par le Gijou, la rivière fendant les montagnes entre Lacaune, frontalier de l’Aveyron, et Vabre. Le lit de la rivière a été doublé, de 1905 à 1962, par le tortillard, petit train qui desservait la vallée et par lequel sont arrivés ceux qui voulaient combattre et ceux qu’il fallait sauver. À l’arrivée, « un personnel résistant était garanti au visiteur », raconte un maquisard dans un livre paru dès 1946. Du maire aux habitants, tous résistants.
Cet engagement commun fait qu’il n’y a eu « aucune dénonciation à Vabre pendant toute l’Occupation », explique avec fierté Michel Cals. Un héritage de deux histoires. D’abord comme village de l’ordre des hospitaliers, sur les routes du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle dès le Moyen-Âge. Puis, aux temps des massacres de protestants par les Dragons du Roi, catholiques, au moment des persécutions ayant suivi la révocation de l’édit de Nantes qui interdisait le protestantisme, la vallée du Gijou reculée de tout a été la terre d’asile de ces réformés traqués. Le village accueille encore une église, un temple et une église évangélique. Visiter ces lieux avant d’entrer dans l’espace Pol Roux était important pour comprendre le courage de Vabre en guerre.

Pol Roux, c’était le nom du « préfet du maquis », Guy de Rouville. Après la guerre, il a été le gardien de la mémoire de la résistance vabraise avec sa femme Odile de Rouville, conservant archives et objets d’époque exposés dans un petit bâtiment récemment offert à la mairie par leurs enfants. Les époux de Rouville sont décédés en 2017, à quelques jours d’écart, centenaires. Ils ont été parmi les derniers maquisards vivants. L’un des derniers, Lucien Lazare, est toujours vivant. Pour garder leur histoire vivante, Michel Cals rêve d’un musée moderne.


Mercredi 23 & jeudi 24 mars : deux ciels de feu et deux chapitres
Le citadin aveuglé par les réverbères oublie souvent que le ciel peut briller plus fort encore. À Vabre, la disparition du soleil derrière les terres vallonnées fait penser à la fameuse flamme de la Résistance. Ici, elle brûle rouge et orange tous les soirs. Entre ces lueurs symboliques, j’ai repris et complété le premier chapitre déjà écrit. Puis j’ai écrit le deuxième, qui raconte l’exode vers le sud d’Isidore, Simone et de leurs filles, mais aussi l’exil de leurs parents vers l’est. L’ambition de revivre normalement à Toulouse, la peur de mourir à Auschwitz.

Vendredi 25 mars : parachutage de renfort
Aujourd’hui encore, rejoindre Vabre peut être une aventure. Après cinq trains et un coup de pouce de mon hôte Pierre, mon petit-frère Gabin a réussi à me rejoindre au maquis jeudi soir. Vendredi matin, nous retrouvons Michel Cals. Nous nous enfonçons dans la vallée du Gijou, suivant la route de l’ancien tortillard dont certains ouvrages sont encore visibles, des tunnels et des ponts. Au fil de la route sinueuse, nous faisons des arrêts dans ce que Michel appelle « son jardin » tant il a arpenté les recoins de ces forêts, hameaux et villages.

Le midi, nous découvrons le musée de Lacaune, guidés par Carole Fridlander. Son grand-père, juif originaire de Lituanie, voulait émigrer aux États-Unis mais s’est arrêté à Paris. Son père a rejoint les montagnes durant la guerre. Il était dans la compagnie Marc Haguenau, la même qu’Isidore. Une partie du musée vient d’être entièrement refaite pour mettre en lumière l’histoire du village, reconnu Juste comme Vabre. L’ancien centre thermal a accueilli des centaines de juifs assignés à résidence par Vichy, dont une centaine ont été déportés. Il m’est difficile de vous exprimer la colère ressentie en voyant le bus de campagne d’une candidate d’extrême droite, fille d’un raciste négationniste de la Shoah, garé devant le mémorial à ces déportés.

Pour nous éloigner des haines d’aujourd’hui qui s’attisent sur les braises des haines d’hier, nous avons pris un temps d’hommage sur la tombe de Gilbert Bloch, Français juif polytechnicien résistant tué par les Allemands le 8 août 1944. Six autres maquisards sont tombés avec lui, tous âgés de 18 à 24 ans. Leurs noms sont gravés dans le granit de la stèle du terrain de parachutage Virgule, où les maquisards ont reçu cinq fois l’aide du ciel : armes, radios, vivres, commandos américains et britanniques y ont été largués entre le 25 juin et le 8 août. Ce jour là, ils ont été attaqués. Michel Cals le racontera dans le deuxième épisode de la série Sur la route d’Isidore, filmé sur les hauts lieux de cette résistance par mon petit frère Gabin qui a amené sa pierre à cet édifice.


Nous poursuivons l’exploration des hauteurs résistantes sur une autre stèle à ces parachutés ayant donné une aide décisive aux maquisards. Nous croisons monsieur Corbières, employé d’une carrière qui laboure le champ d’un ami. Il s’active et se renseigne immédiatement quand nous lui demandons une information sur le lieu exact d’un des maquis. C’est l’esprit qui souffle sur ce pays venteux : celui qui en a besoin reçoit toujours de l’aide.
Nous achevons cette journée autour d’une bière du Tarn et des archives rassemblées, que Michel Cals épluche en m’orientant vers les travaux de maîtrise de Valérie Pietravalle-Ermosilla. Son mémoire, bâti en 1987 au contact des témoins tous vivants, a été annoté de la main de Guy de Rouville. Quand Vabre aura son musée, peut-être que les feuilles de comptabilité et de ravitaillement tenues par Isidore en août 1944 y trouveront une place.
Samedi 26 mars : cœurs valeureux et esprits modestes
Parler peu, faire beaucoup. C’est le meilleur résumé que j’ai trouvé pour qualifier le fabuleux granit qui fait les consciences des gens de Vabre et du Gijou. On ne se vante d’hériter de ce poumon de liberté, les anecdotes sont distillées avec la modération des cœurs valeureux et des esprits modestes qui savent que trop dire conduit à ne plus agir.
Gabin, artiste, travaille sur un projet musical. Je continue d’éplucher mes archives pour commencer à écrire le troisième chapitre. Soudain, le téléphone vibre : c’est Michel. La veille, nous avons cherché en vain les fermes ayant accueilli les maquisards, Laroque et Lacado. Isidore est passé par ces deux lieux. « Ça m’a travaillé de ne pas savoir », rouspète l’historien. Il a appelé le maire de Lacaze, qui l’a rancardé sur les localisations de ces fermes cachées à flancs de monts. Ce seront nos destinations de lundi matin, découverte pour tout le monde. Comme nous, Michel est heureux de savoir où étaient ces fermes. Il rigole : « Tu m’as repiqué au truc ! »

Le cœur léger de ces nouvelles, Gabin et moi posons nos stylos. Enfourchant nos vélos, nous partons découvrir un haut lieu de l’histoire de Vabre… en remontant quatre siècles en arrière. Sur les hauteurs de la montagne, une fois des forêts franchies, nous arrivons à la Pierre plantée. Elle symbolise le lieu de réunion des protestants, contraints à la conversion mais qui continuaient à pratiquer dissimulés au « Désert », sur les hauteurs de Vabre lors des persécutions ordonnées par Louis XIV au nom du catholicisme. En 1689, une assemblée a été surprise par les Dragons du Roi chargés de traquer ces chrétiens réformés. Une cinquantaine a été massacrée sur place.

Cette histoire protestante, toujours ancrée à Vabre, est une des explications de l’aide apportée aux juifs pendant la guerre. Un maquisard protestant le résumait : « Nous n’avons pas aidé des juifs, mais des persécutés comme nous. » C’est la chance de ma famille, dont je ne sais pas grand chose sur la pratique religieuse. Au fil de sa route pendant la guerre, des courageux d’autres religions se sont levés pour permettre leur survie. Isidore et Simone couverts par des protestants au maquis. Monique et Marylène cachées au couvent par des catholiques.
Lundi 28 mars : explorations, découvertes et émotions
Rendez-vous à 9 heures chez Michel avant de se lancer dans l’expédition vers les deux fermes de Laroque et Lacado, où vivaient les maquisards. Pour s’y rendre, nous passons par le village voisin de Lacaze où le maire Alain Ricard nous reçoit pour nous préciser les localisations des fermes. Il faut relever les coordonnées GPS (cliquez pour voir la carte).
Car ce ne sont pas des routes goudronnées qu’il faut emprunter. Nous partons pour Lacado, juché sur le haut d’une des collines qui jalonnent le pays. Nous suivons à pieds une piste que la voiture n’aurait pas appréciée, avant de bifurquer sur un petit chemin gazonné, à travers un champ. Il nous mène à la petite ferme attaquée par les Allemands en 1944 et abandonnée après la guerre. Depuis quasiment 80 ans, la nature s’est réinstallée après ce passage intense. Des baies poussent accrochées à la façade de la maison. Michel trouve la petite source d’eau qui approvisionnait les maquisards, élément essentiel pour vivre en marge. En lisière du bois qui abrite la ferme maquisarde, nous tâchons de repérer la stèle de Virgule sur une colline : quand les Allemands sont passés à l’attaque, ils ont d’abord ciblé Laroque, près de Virgule. Ceux de Lacado ont vu les explosions.


À Laroque, l’expédition tourne à l’exploration. Après avoir hésité entre deux chemins, nous décidons de suivre un sillon à la lisière du champ abritant la stèle du terrain de parachutage Virgule, où nous étions vendredi. Il faut descendre une partie du coteau tout en suivant le sillon de l’œil, puisque séparés par les barbelés du champ. Une ouverture se profile, et nous passons sous les barbelés pour nous enfoncer dans un petit bois à flanc de colline.
Parti en éclaireur, Michel fait la découverte : les ruines de Laroque. Un ensemble impressionnant de vestiges d’un temps révolu. Les angles et les fondations de cinq bâtiments peuvent être identifiés, dont un plus grand, avec au moins un étage. « Ce serait un superbe lieu de mémoire », imagine Michel face au pan de pierres le mieux préservé de l’attaque à la bombe incendiaire que les Allemands avaient lancé sur Laroque le 8 août 1944. Le lieu, qui accueillait le commandement de la Compagnie Marc Haguenau, nous émeut. J’en profite pour déposer une pierre sur un bout du mur, « la pierre amenée à l’humanité » par Isidore et ses camarades.


Michel détaille les principales actions menées et subies par les maquisards de cette ferme, responsables de la sécurité du terrain de parachutage Virgule et participants à l’attaque d’un train allemand la veille de la libération de Castres. Des actions militaires qui n’auraient pu avoir lieu sans la résistance civile de Vabre. C’est l’ultime étape de notre matinée, avec Gabin à la caméra, dans l’espace Pol Roux au cœur du village. Michel y présente les objets conservés de cette histoire, du container parachuté à la radio qui permettait d’écouter les messages transmis à la résistance avec cette phrase codée : « De la chouette au merle blanc, le chargeur n’a que vingt balles. »

Ces messages et actions n’auraient existé sans la complicité du maire, du chef de gare, des hôteliers, du brigadier-chef ou du pasteur de ce village reconnu Village des Justes.
Gabin nous quitte après cinq jours précieux durant lesquels il a assuré le rôle de caméraman. Je retourne à mon gîte, heureux des découvertes de la matinée. Une surprise m’attend : les photos de Léon, Rachel et Victor ont été ajoutées au site du Mémorial de la Shoah, point de départ de tout ce projet qui avance pas à pas.
Mardi 29 et mercredi 30 mars : une date précieuse retrouvée
Je reprends l’écriture du livre, sur laquelle j’avance entre deux découvertes faites au maquis. Les archives accumulées me permettent de construire le récit en bouchant petit à petit les trous qui parsèment cette histoire vieille de 80 ans. Parfois, une réponse se trouve dans un document déjà lu mais oublié. Ainsi, je pensais n’avoir aucune trace de la date d’arrivée de ma grand-mère et de sa sœur au couvent de Notre-Dame de Massip.
En réalité, j’avais depuis plusieurs années la copie de la lettre envoyée par Isidore en 1947 pour témoigner des sauvetages réalisés par les sœurs Denise Bergon et Marguerite Roques, reconnues Justes parmi les Nations. Des sauvetages effectués « avec un mépris du danger digne des plus belles traditions françaises », écrivait Isidore. Du printemps 1943 à l’automne 1944, ce couvent a abrité environ 80 enfants juifs sauvés de la déportation.
Jeudi 31 mars : archives métalliques, lieu de mémoire et héritage vivant
Ma venue à Vabre est de plus en plus un formidable alignement de planète. Je vous ai raconté la rencontre avec Michel Cals, qui m’a embarqué sur tous les lieux du maquis pour m’en raconter l’histoire avec une bienveillance et une passion admirables. Son engagement a permis à ce jeudi 31 mars d’avoir une saveur exquise.
D’abord parce que j’ai eu un accès libre aux dizaines de cartons d’archives conservés à l’espace Pol Roux, où est abritée la mémoire de cette histoire. Je n’ai pas pu tout éplucher, mais j’ai découvert de nouvelles figures du maquis, des documents oubliés et même des chargeurs de mitraillettes Sten et des cartouches d’époque ! Ces archives métalliques appuient la dimension « réelle » de cette histoire dont je découvre les détails.
Tous les objets n’ont pas traversé le temps, mais les lieux de vie et d’action du maquis sont toujours là. Certains bien cachés comme Laroque et Lacado, d’autres déjà commémorés comme le bord de voie ferrée de Labruguière près de Mazamet, où les maquisards ont attaqué le train allemand se rendant à Castres. Un maquisard et cinq allemands ont été tués ce 19 août 1944, dans la bataille dont les maquisards sortiront victorieux face à un ennemi supérieur en armement, en entraînement et équivalent en nombre. Un fait d’arme essentiel puisqu’il va participer à démoraliser les troupes allemandes en garnison à Castres : les 4 000 soldats se rendent le lendemain.

Ces morceaux d’histoire ont déjà été racontés, grâce au travail de mémoire entrepris dès le lendemain de la guerre par le préfet du maquis, Guy de Rouville, et son épouse Odile de Rouville. Ils ont conservé les archives, ont fait vivre l’Amicale des Maquis de Vabre, ont construit l’exposition sur le maquis toujours visible à l’espace nommé d’après l’alias de Guy de Rouville. Les époux de Rouville ont transmis cette histoire à leurs descendants. Grâce à Michel Cals, j’ai passé la soirée de jeudi avec Xavier de Rouville, un de leur fils. La maire de Vabre Françoise Pons s’est jointe à nous pour découvrir le contenu d’un carton d’archives envoyé par Tristan Denis, petit-fils des de Rouville qui a construit et alimenté le site internet de l’Amicale, source extrêmement complète sur l’histoire de Vabre pendant la Seconde Guerre mondiale. Nous redécouvrons des photos, des négatifs, des bobines de films, des originaux de livres de maquisards et d’autres documents très précieux. Nous discutons à la façon de préserver cette histoire. La grande histoire des maquis de Vabre mérite bien un beau musée.

Vendredi 1er et samedi 2 avril : écriture enneigée
Qui dit manteau blanc dehors entend feu douillet à l’intérieur. Pendant que la neige recouvre les massifs de Vabre, je poursuis le travail d’écriture sur lequel j’avance depuis mon arrivée en ces terres maquisardes. Les cinq premiers chapitres sont écrits en entier, j’aborde le sixième et m’y emploie l’essentiel de la journée.

Le septième reste à écrire, tandis que les principaux éléments du huitième sont déjà réunis. Aurais-je fini avant le départ, lundi ? Certainement. Ces écrits ne sont qu’une première version à travailler, retravailler et patiner. Cette première version sera un support de travail majeur pour la construction finale du livre.
C’est aussi l’occasion d’un dernier coup d’œil aux archives triées durant ce séjour. Et l’occasion d’une découverte, permise par la réunification de deux archives séparées : une liquidation d’héritage devant un notaire et un arbre généalogique tapé à la machine. L’un concerne la famille Cerf-Lévy, l’autre trace les racines d’une partie de la famille de Simone. Le nom Cerf y apparaît aussi, avec la mention « morts en déportation ». Il s’agit de Sylvain, Rosa et Colette, parents et fille unique. Oncle, tante et cousine de Simone, la femme d’Isidore. Ils ont été arrêtés à Melun en février 1943 et ont été déportés pour Auschwitz avec le convoi 48, sans retour. Ces trois personnes s’ajoutent à la trop longue liste des personnes exterminées dans la famille d’Isidore et Simone.
Dimanche 3 avril : le dernier jour
Le départ, c’est demain. Les archives ont retrouvé leurs pochettes plastiques, les livres sont triés par taille, le tout prêt à retrouver la grande valise déballée deux semaines plus tôt. Elle s’est alourdie de livres sur l’histoire de Vabre, de son tortillard mythique et de sa juste vallée, car ce travail n’existerait pas sans la mémoire que les gens d’ici ont collectée, sauvegardée et racontée pour qu’elle ne puisse pas être oubliée.
Pour conclure ce dernier jour, avant la soupe au fromage traditionnelle du pays, nous sillonnons avec Michel les derniers lieux que je n’avais pas vus. D’abord, l’ancien poste de commandement du maquis, qui accueillait les « pianos », les radios permettant de communiquer avec les troupes alliées en Algérie. Ensuite, la jasse de Renne, ferme qui a accueilli 35 jeunes filles juives déguisées en protestante par les habitants. Cette action permettra le passage en Suisse de ces jeunes qui ont ainsi échappé à la déportation promise par les nazis.


Pour terminer en beauté ce séjour, une exposition contée nous attend au temple protestant. Organisé avec le musée du Protestantisme de la Réforme à la Laïcité de Ferrières, ce spectacle met en lumière l’histoire d’une enfant polonaise qui échappe au mangeur d’étoiles nazi en se réfugiant dans la forêt. Une histoire contée par Catherine Giovannini qui était entourée de sculptures de Corinne Chauvet.

Ces deux semaines à Vabre, sur ses hauteurs et dans ses refuges cachés, ont été une source essentielle pour le livre, mais aussi pour la vie. Une leçon d’humanité que le temps n’érodera pas.
À travers le parcours d’Isidore, je raconterai le courage des Vabraises et Vabrais. J’en fais le serment, face à mon ultime nuage de feu sur ces montagnes protectrices.

Dans les prochaines semaines, un épisode Sur la route d’Isidore à Vabre sera publié.