Pour raconter l’histoire d’Isidore, je ne m’appuie que sur les faits. Les archives ont un rôle essentiel, et certains documents ont été conservés par ma famille. Dans une série de vidéos intitulée Au fil des archives, je vais vous montrer les plus précieux de ces témoignages originaux. Le deuxième épisode se déroule à Toulouse.
Au fil des archives #2 : la « lettre sur la personne humaine » de l’archevêque Jules Saliège
Réaction aux déportations depuis la zone non occupée
Il y a 80 ans, le diocèse de Toulouse vivait un moment de lumière dans les ténèbres de la guerre, de l’occupation et de la collaboration de Vichy avec l’Allemagne nazie. L’archevêque Jules-Géraud Saliège faisait lire cette « lettre sur la personne humaine », appelant au respect des Juifs et Juives de France. Une prise de position rare dans la hiérarchie catholique. Sur une centaine d’évêques, une poignée s’indigne. Jules Saliège est le premier, s’élevant au nom de la « morale chrétienne » en faveur des déportés « traités comme un vil troupeau ».
Jules Saliège est archevêque de Toulouse depuis 1928. Quand la France perd la guerre, « il se rallie d’abord sans difficulté au régime de Vichy », explique le Musée de la résistance. La bascule se situe début août 1942. Le 8 et le 10, deux convois quittent les camps de Récébédou, en zone non occupée. Une catholique assistante sociale établit un rapport transmis à Saliège. Elle décrit les « scènes lamentables » subies par « des malades, des vieillards et des infirmes ». Un second rapport, confidentiel, parvient aussi à l’archevêque. En plus des mauvais traitements, la séparation des familles, des mères et des enfants, est un électrochoc.
Jules Saliège décide d’écrire sa « lettre sur la personne humaine » mi août. Elle doit être lue dans le diocèse « sans commentaire ». Vichy tente d’empêcher la lecture de la lettre mais n’obtient que de légères modifications. En rien le fond n’est changé : « Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Les étrangers sont des hommes, les étrangères sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux, contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos frères comme tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier. »
Texte complet de la lettre de Jules Saliège, copie d’époque conservée par Isidore :

« Vous aurez à mentir, mentez »
Cette lettre a eu impact concret et salvateur. Jules Saliège a joint les actes aux mots, permettant l’organisation du sauvetage d’enfants juifs dans son archevêché. Un réseau d’entraide se forme, avec la participation de religieux toulousains et occitans. Ce fût le cas au couvent Notre-Dame de Massip, où les deux filles d’Isidore ont été prises en charge et cachées par les sœurs Denise Bergon et Marguerite Roques, agissant à la demande de Saliège. « Vous aurez à mentir, mentez donc toutes les fois que cela sera nécessaire, je vous donne par avance toutes mes absolutions », avait enjoint l’archevêque à la mère supérieure Denise Bergon. En 1948, Isidore écrit que cette dernière a agi « avec un mépris du danger digne des plus belles traditions françaises ».
Dans ce couvent de l’Aveyron, 86 personnes juives ont été cachées et sauvées, dont 75 enfants. Dont ma grand-mère Marylène et sa sœur Monique. Elles avaient trois et six ans et ont survécu à la guerre. Reconnu Juste parmi les nations et Compagnon de la Libération, Jules Saliège est devenu cardinal en 1946.

Pour aller plus loin :
– dossier en cinq articles (1, 2, 3, 4, 5) de La Croix pour les 80 ans de la lettre, Isabelle de Gaulmyn
– vidéo explicative du Mémorial de la Shoah sur les églises chrétiennes en 1942, Nina Valbousquet
– podcast Le Fantôme de Philippe Pétain sur France Inter, épisode 6, Philippe Colin
– livre Nos enfants de la guerre, édité en 2002 aux éditions Seuil, Jean-Pierre Denis
Premier épisode, sur la dernière lettre de la mère d’Isidore, envoyée de Drancy le 23 août 1942 à la veille de sa déportation pour Auschwitz. Une lettre écrite le même jour que celle de Jules Saliège.