Six millions de morts. L’immensité industrielle du génocide des Juifs d’Europe est difficilement perceptible. Une masse informe, sans visage ni nom, qu’aucune comparaison ne peut aider à figurer. Pour tenter de la ramener à une taille plus humaine, prenons l’exemple du convoi de Léon Adato, petit frère d’Isidore.
1 012 personnes dont 452 enfants et Léon
23 août 1942, Drancy. Rachel Adato écrit son ultime courrier. Elle l’envoie à son fils, Isidore. La missive est succincte. Elle apprend à son aîné qu’elle va partir pour « un pays inconnu », que son mari est toujours dans le camp. Victor a été parmi les premiers internés de Drancy, en août 1941. Et surtout, comme un déchirement, Rachel écrit : « Léon, mon trésor, est parti. Je ne peux pas vivre sans lui. »
Léon, cadet de Victor et Rachel, a 22 ans. Il prend le convoi 21.
C’était le 19 août 1942, chaude journée d’été. Comme tous les Juifs de France déportés vers l’est, Léon a été entassé dans des wagons à bestiaux, dans la gare du Bourget proche de Drancy. Ils sont un millier dans le convoi de Léon. La police militaire allemande prend le relais des gendarmes français et s’assure que le train parte à 8h55, comme les autres convois d’août. Un mois plus tôt, la Rafle du Vel d’Hiv a marqué un tournant : femmes et enfants sont aussi arrêtés et déportés. Le Mémorial de la déportation des Juifs de France de Serge Klarsfeld nous apprend que le convoi 21 comprenait 452 enfants. La moitié des déportés.
440 enfants du Vel d’Hiv et une majorité de Français
Ils sont pour la plupart arrivés sans leurs parents, déjà déportés, après avoir été parqués au Vélodrome d’Hiver lors de la rafle des 16 et 17 juillet puis embarqués dans les camps du Loiret avant de venir à Drancy. Grâce au travail cartographique de l’historien Jean-Luc Pinol, nous connaissons les noms des 440 « enfants du Vel d’Hiv » qui ont pris le train avec Léon. Il y a Charles, Henri et Bernard Bekas, gosses du 3ème arrondissement déportés à deux, quatre et neuf ans. Raflées rue du Faubourg Saint-Antoine, Hélène et Sylvia Bergman avaient quatre et cinq ans. Dans la même rue, Jacques, Jeanine, Berthe et Yvette Zlotnik avaient quatre, sept, huit et douze ans. 66 de ces enfants viennent du 11ème arrondissement, celui de la rue Popincourt où Léon a vécu toute sa courte vie.
Dans ce convoi, plus de 400 personnes étaient de nationalité française. Léon était Français, né en 1919 à Paris de parents étrangers.

Léon, premier déporté de la famille, avait un handicap
Puisque le convoi de Léon est parti le 19 août, on peut estimer son arrivée au 24. C’est la « règle des cinq jours », adoptée par l’administration française pour établir les dates de décès et « régulariser l’état civil d’un israélite » disparu. Cette règle a été établie parce que dès leur arrivée, la majorité des déportés étaient gazés. Un protocole strict de sélection était mis en place à l’arrivée à Auschwitz. Ce processus avait lieu sur la Judenrampe. Les déportés étaient séparés en deux : aptes ou inaptes au travail. Enfants, vieux et handicapés étaient inaptes.
Léon entrait dans cette dernière catégorie. À 22 ans, il souffrait depuis sa naissance d’une « anémie cérébrale ». Nous ne savons pas ce que terme désigne exactement comme pathologie, mais on sait que Léon a toujours été couvé par sa mère Rachel. L’anémie est la seule indication sur son handicap, consignée dans un courrier préfectoral dans le dossier de naturalisation de la famille. L’anémie de Léon explique pourquoi il n’a pas fait son service militaire, à l’inverse de son frère Isidore devenu sergent. Cette différence entre les deux frères sera fatale à Léon : Isidore a conservé sa nationalité française grâce à ses états de service. Léon a été dénaturalisé comme ses parents. Il est devenu apatride.

Cinq survivants en 1945, 99,5 % des déportés assassinés
Léon a certainement été gazé dès son arrivée, du fait de son handicap. Sur les 1 012 déportés du convoi 21, 817 ont gazés dès l’arrivée. Parmi les 817 gazés, il y avait 373 des 452 enfants inclus dans le convoi. Cela signifie que plus de 80 % des déportés ont été assassinés dès leur arrivée à Auschwitz. En 1945, il n’y avait que cinq survivants de ce convoi, dont un adolescent âgé de 13 ans à sa libération.
Le taux de destruction est donc de 99,5 % pour les déportés du convoi 21.
Léon est mort moins d’un mois après son arrestation, le 24 août. Le même jour, sa mère Rachel monte dans le convoi 23 qui emporte aussi un millier de personnes. Elle sera gazée à l’arrivée, avec 914 autres personnes, dont 553 enfants. Il n’y aura que trois survivants en 1945. Dans le convoi 32 de Victor, parti en septembre 1942 plus d’un an après son internement à Drancy, ils sont 893 sur 1 000 à être gazés à l’arrivée. Ils seront 45 à survivre à la guerre. Dans les convois ayant emmené les gens de ma famille vers Auschwitz, le convoi 77 de Marco est celui avec le plus grand nombre de survivants : 209, sur 1 300 déportés, parce que ce convoi est l’un des derniers, parti le 31 juillet 1944. Il faudra attendre le 27 janvier 1945 pour qu’Auschwitz soit libéré par les troupes soviétiques.
Au total, 77 320 Juifs de France ont été assassinés durant la Shoah. Environ 3 800 ont survécu.